Saturnin Fabre. [Album de dessins, souvenirs de guerre 14-18]. S.l. [Savy, dans l’Aisne], 3 au 5 mai 1917. 20 feuilles libres (28 x 22,5 cm) de papier calque insérées dans un cahier aux pages cartonnées muettes (32 x 24 cm). Une préface manuscrite, Notre table de mess représentant un sympathique browning braqué face aux lignes, et 18 portraits-charges dessinés à l’encre bleue nuit puis noire (certains ayant conservé leur esquisse au crayon gris) accompagnés d’un court commentaire ; toutes les pages sont signées et datées de l’auteur (à l’exception de la préface seulement signée et légèrement postérieure). Broché, couverture cartonnée bleue ciel muette.
Saturnin Fabre (Sens, 1884 – Montgeron, 1961), acteur, l’un des plus singuliers seconds rôles du cinéma français d’avant et d’après-guerre, avait sans doute l’intention de publier ce petit album ; il note dans son émouvante préface : « Tu goûtes aujourd’hui les joies et le repos de la paix : tu souris en feuilletant notre petit album de guerre ; Veuille m’excuser, mon cher frère d’arme, de n’avoir su peindre l’auréole de souffrance et de gloire qui t’illuminait et confonds-moi de n’avoir pensé qu’à dénaturer tes traits à l’époque même où tu as été tant grandi par les évènements. »
Tous ces militaires croqués sont du 121e R.I., compagnons d’arme et de repas de Fabre qui a représenté la table du mess avec l’emplacement marqué de chacun des modèles : Grosmangin, Normand, Kollen, Henry, Bertrand, Mas, Trinel, Fabre, Verdot, Lasson, Cusenier, Bally, Valaz, Ricaud, Rousseau, Moine, Javouhey, Camels.
A noter que le 8ème portrait, magistral, est un auto-portrait accompagné de : « Qu’importe aux spectateurs qui se saoulent aux gradins que les gladiateurs s’entre tuent dans l’arène. 3-5-17 », révélateur du sentiment de l’auteur, alors que de graves mutineries se déclarent dans l’armée française suite à l’échec de l’offensive du chemin des Dames ; ce commentaire trouvera un écho dans son ouvrage autobiographique la Douche écossaise publié chez Fournier Valdes en 1948 : « Les gladiateurs s’entr’égorgent dans l’arène. Les spectateurs rient. Pourquoi les gladiateurs n’égorgeraient-ils pas les spectateurs ?… » (p. 170).
En mai-juin 1917, le 121e R.I. est à Savy dans l’Aisne ; il participera à la bataille de Verdun en août 1917 puis sera engagé dans l’Argonne. La finesse du trait, d’une rare qualité, est soutenue par des textes truculents (« Il est marron ce garçon-là, mais la raison en est simple et je vais t’en donner l’explique »), humoristiques (« Après tant d’emmerdement, j’en arrive à me demander si je dois rester avec ma femme » ou « Et lorsqu’on lui demande un mandat, il répond je n’ai même pas le mandat d’amener l’amant d’Amanda »), et même politiques ( « Evidemment tu estimes que nous pouvons arriver à une renaissance de la République »).
Saturnin Fabre a été peu loquace sur ses souvenirs de guerre : « Nous étions des brutes. Les brutes n’ont pas de souvenirs… » écrit-il dans la Douche écossaise ; notre album en est un témoignage d’autant plus précieux.
Quelques infimes et rares taches, couverture insolée. Document rare et émouvant, en excellent état.
1 300 €