Magnifique témoignage de la guerre de 14-18, laissé par le célèbre acteur Saturnin Fabre

Saturnin Fabre

 

Saturnin Fabre. [Album de dessins, souvenirs de guerre 14-18]. S.l. [Savy, dans l’Aisne], 3 au 5 mai 1917. 20 feuilles libres (28 x 22,5 cm) de papier calque insérées dans un cahier aux pages cartonnées muettes (32 x 24 cm). Une préface manuscrite, Notre table de mess représentant un sympathique browning braqué face aux lignes, et 18 portraits-charges dessinés à l’encre bleue nuit puis noire (certains ayant conservé leur esquisse au crayon gris) accompagnés d’un court commentaire ; toutes les pages sont signées et datées de l’auteur (à l’exception de la préface seulement signée et légèrement postérieure). Broché, couverture cartonnée bleue ciel muette.

Saturnin Fabre en 1939 (Photo Harcourt)
Saturnin Fabre en 1939 (Photo Harcourt)

Saturnin Fabre (Sens, 1884 – Montgeron, 1961), acteur, l’un des plus singuliers seconds rôles du cinéma français d’avant et d’après-guerre, avait sans doute l’intention de publier ce petit album ; il note dans son émouvante préface : « Tu goûtes aujourd’hui les joies et le repos de la paix : tu souris en feuilletant notre petit album de guerre ; Veuille m’excuser, mon cher frère d’arme, de n’avoir su peindre l’auréole de souffrance et de gloire qui t’illuminait et confonds-moi de n’avoir pensé qu’à dénaturer tes traits à l’époque même où tu as été tant grandi par les évènements. »

Saturnin Fabre 1917

Tous ces militaires croqués sont du 121e R.I., compagnons d’arme et de repas de Fabre qui a représenté la table du mess avec l’emplacement marqué de chacun des modèles : Grosmangin, Normand, Kollen, Henry, Bertrand, Mas, Trinel, Fabre, Verdot, Lasson, Cusenier, Bally, Valaz, Ricaud, Rousseau, Moine, Javouhey, Camels.

Saturnin Fabre 1917

A noter que le 8ème portrait, magistral, est un auto-portrait accompagné de : « Qu’importe aux spectateurs qui se saoulent aux gradins que les gladiateurs s’entre tuent dans l’arène.         3-5-17 », révélateur du sentiment de l’auteur, alors que de graves mutineries se déclarent dans l’armée française suite à l’échec de l’offensive du chemin des Dames ; ce commentaire trouvera un écho dans son ouvrage autobiographique la Douche écossaise publié chez Fournier Valdes en 1948 : « Les gladiateurs s’entr’égorgent dans l’arène. Les spectateurs rient. Pourquoi les gladiateurs n’égorgeraient-ils pas les spectateurs ?… » (p. 170).

Saturnin Fabre

En mai-juin 1917, le 121e R.I. est à Savy dans l’Aisne ;  il participera à la bataille de Verdun en août 1917 puis sera engagé dans l’Argonne. La finesse du trait, d’une rare qualité, est soutenue par des textes truculents (« Il est marron ce garçon-là, mais la raison en est simple et je vais t’en donner l’explique »), humoristiques (« Après tant d’emmerdement, j’en arrive à me demander si je dois rester avec ma femme » ou « Et lorsqu’on lui demande un mandat, il répond je n’ai même pas le mandat d’amener l’amant d’Amanda »), et même politiques ( « Evidemment tu estimes que nous pouvons arriver à une renaissance de la République »).

Saturnin Fabre a été peu loquace sur ses souvenirs de guerre : « Nous étions des brutes. Les brutes n’ont pas de souvenirs… » écrit-il dans la Douche écossaise ; notre album en est un témoignage d’autant plus précieux.

 Quelques infimes et rares taches, couverture insolée. Document rare et émouvant, en excellent état.

1 300 €