Le futur Henri III, récemment élu roi de Pologne, prépare son voyage vers son nouveau royaume. Conscient de son rang, il souhaite s’entourer de grands et nobles seigneurs, dont le comte d’Abain, ami de Montaigne, fervent catholique, diplomate et homme de guerre.

Henri III duc d'Anjou roi de Pologne

 

Henri III (1551-1589), roi de France, alors roi de Pologne. Lettre signée « Vostre bon amy Henri », Paris, 7 août 1573, à [Louis de Chasteigner de La Roche-Posay], Mons[ieur] d’Abin, gentilhomme de la chambre du Roy, monseigneur et fr[ere] ». 1 page in-folio, adresse au verso.

Alors duc d’Anjou, le futur Henri III venait d’être élu roi de Pologne par la Diète le 11 mai 1573. Préparant son voyage, il fait appel à Louis de Chasteigner, comte d’Abain, fervent catholique, fin politique expérimenté et cultivé, qui plus est redoutable homme de guerre qui jouissait de toute la confiance de Charles IX et de sa mère Catherine de Médicis.

Henri III duc d'Anjou roi de Pologne

Sur le point de partir « pour aller au Royaume de Polloigne, il est requis &  necessaire que je sois accompaigné en ce voiaige de gens de vertu et quallité & mesmement de mes amys et serviteurs, tant pour la grandeur de la maison dont je suis sorty, le lien que je vays tenir en ung royaume estranger et aussy pour l’honneur que jay davoir comandé en ce royaume soubs le nom du Roy monseigneur &  frere depuis quelque temps » ; il demande au comte d’Abain de l’accompagner en cette occasion.

Henri III alors roi de Pologne

Il lui rappelle combien il a été généreux envers ses amis et ne manquera pas de l’être à nouveau pour ceux qui lui feront ce plaisir : « je me suis efforcé de faire ce que j’ay peu, et sellon le temps, pour ceulz qui m’ont requis de quelque chose juste et raisonnable. D’aultres, je les ay pourveuz en ma maison et mis en mon estat, de sorte qu’il y en a bien peu que par honneur ne me doivent fere ce plaisir et service de m’aconpaigner en une telle occasion, et de me faire congnoistre le service qu’ilz desirent me fere, lesquelz je recongnoistray en tous les lieudits ou il y aura moien de gratiffication à l’endroict de ceulz qui se seront monstrez telz que je desire en cest endroict. »

Henri III alors roi de Pologne.

Il est certain que d’Abain viendra le rejoindre, et il l’attend à Paris ou à Chalons en Champagne à partir du 20 septembre. « Vous advisant que vous ne me scauriez faire congnoistre la devotion que vous avez a me faire ung bon service qui a ce coup m’asseurait, vous n’y vouldrez faillir, que me gardera de vous en fere plus longue lettre. » Henri ne partira qu’en décembre… pour revenir au plus vite et en catimini le 18 juin suivant, à la mort de son frère, pour monter sur le trône de France.

Henri III. alors roi de Pologne. Signature autographe

Louis Chasteigner de la Roche-Posay (1535-1595), baron de Malval, seigneur d’Abain ou d’Abin, ami intime de Montaigne qu’il reçut à Rome et qui le cite dans son Journal de voyage en Italie comme « gentil home studieus et fort amy de longue main ». (Œuvres complètes, Bibl. de la Pléiade, éd. 1962, p. 1206). Il étudia sous Adrien de Tournébur, Jean Dorat, poète et professeur du Roi, et Scaliger. Après des missions diplomatiques en Italie et à Malte, il embrassa le parti des armes sous le titre de seigneur d’Abain. Il se trouva en 1567 à la bataille de Saint-Denis, à celles de Jarnac et de Moncontour en 1569, au combat de la Roche-Abeille, au siège de la Rochelle en 1573 et à plusieurs places tenues par les Huguenots. Charles IX lui octroya la charge de Gentilhomme ordinaire de sa Chambre. Considéré comme homme de confiance par Catherine de Médicis, il accompagnera le duc d’Anjou en Pologne ; passant par l’Allemagne, il sera député vers les Archevêques de Trèves et de Pologne et les Electeurs de l’Empire. Après la mort de Charles IX, Henri III l’enverra à Rome auprès du pape Grégoire XIII, où il résidera comme ambassadeur durant cinq ans. A son retour, il sera envoyé visité les provinces du royaume comme député du Conseil d’Etat et créé Chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit, et en recevra le collier des mains du Roi, aux Augustins de Paris, en 1583. Il servit glorieusement pendant toute la guerre d’Henri III contre les Ligueurs. Après la mort de ce prince, il reconnut pour son légitime souverain Henri IV, qui lui avait donné le Gouvernement de la Haute et Basse Marche, et qu’il servira également avec zèle. Il mourut à Moulins, âgé de 60 ans, le 29 septembre 1595, à son retour de Bourgogne, où il avait accompagné Henri IV qui avait livré la bataille de Fontaine-Française en juin. Il aima toujours l’étude des lettres, les sciences et les savants ; pour l’éducation de ses enfants, il garda pendant trente ans Joseph Scaliger qui rédigea l’épitaphe écrite sur son tombeau.

Henri III. Lettre au comte d'Abain.

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