Le recueil autographe des prières de Mademoiselle Leduc

Leduc

 

[Elisabeth-Claire Leduc]. [Recueil de prières]. Sans lieu [Paris ?], mars 1792. Carnet in-32 de 170 pp. réglées, manuscrit autographe d’une belle écriture soignée à l’encre brune, encadrées d’un liseré à l’encre brune. Maroquin rouge de l’époque, dos lisse muet sobrement orné, plats richement ornés à la dentelle avec des armes dorées au centre, roulette dorée sur les coupes et les chasses, fermoirs en argent.

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Le livre de prières autographe de Mademoiselle Leduc, marquise de Tourvoie (1721 – vers 1793), danseuse à l’Opéra, fille d’un Suisse du Palais du Luxembourg, la maîtresse, puis la femme de Louis de Bourbon-Condé, comte de Clermont, prince du sang, abbé commendataire de l’abbaye de Saint-Germain-des-Bois, arrière-petit-fils du Grand Condé et petit-fils de Louis XIV et de la Montespan.

Fille d’un Suisse du Luxembourg de la porte d’Enfer, Élisabeth Leduc débuta dans la galanterie. Après s’être fait prier longtemps, elle quitta le président de Rieux pour suivre le comte de Clermont, en 1741, poussée, dit-on, par l’ancienne maîtresse du comte, Marie-Anne de Camargo, qui ne supportait plus l’état d’esclavage où elle était. Le comte et Mlle Leduc vivaient tous deux au château de Berny à Fresnes, résidence de campagne des abbés de Saint-Germain-des-Prés, et contractèrent un mariage secret en 1765. En naquirent deux enfants non légitimés, l’abbé Leduc (1766-1800), qui porta le titre d’abbé de Vendôme, et une fille (née en 1768). Le comte de Clermont acheta à Mlle Leduc la seigneurie de Tourvoie à Fresnes à proximité du domaine de Berny. Le château de Tourvoie et le château de Berny étaient reliés par une galerie souterraine. Mlle Leduc était aussi volage que son amant, mais celui-ci était d’une jalousie féroce. Un jour, plus emporté qu’à l’ordinaire, il lui griffa le front avec un canif. Honteux et repentant, il demanda au roi de la faire marquise (de Tourvoie) pour se faire pardonner. « La Bibliophilie, écrit Guigard, faisait partie de l’existence mondaine au xviiie siècle. Les grandes dames surtout auraient cru manquer à tous leurs devoirs si elles n’avaient pu montrer, dans un salon richement orné, des livres aux fers merveilleux des Derome ou Pasdeloup. Bien qu’élevée sous les feux de la rampe, Mlle Le Duc voulut, elle aussi, posséder une collection bibliographique qui, par la splendeur de l’habillement, put rivaliser avec celles de ses nobles contemporaines. » Notre recueil, à ses armes parlantes, est à mettre en rapport avec celle reproduite par Guigard, « d’une rare beauté. En effet, ici, la bordure se déroule harmonieuse et délicate sous la douce fermeté de ses mouvements. » La richesse ornementale des plats, dissimulés dans sa bibliothèque entre deux exemplaires, contraste avec la sobriété du dos, visible sur les rayonnages, et l’humilité prônée dans le recueil de prières en français et en latin, parmi les Ave Maria et les Pater Noster. Au crépuscule de sa vie, Mlle Leduc invoque la protection « des grandes Saintes dont j’ai l’honneur de porter le nom, Ste Elisabeth et Ste Claire, mes patronnes » (p 39), et prie Dieu pour elle-même, mais aussi « pour le Pape [brûlé en effigie au Palais-Royal le 3 mai 1791], pour notre archevêque, pour notre Curé, pour tout le clergé [La Constitution civile du clergé avait été votée en 1790 par l’Assemblée constituante], pour le Roi et pour toute la famille Royale, pour tous les Magistrats [Décret relatif au nouvel ordre judiciaire du 6 mars 1791], pour mes enfans, pour mon neveu » (p 19).

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Probablement rédigé au fur et à mesure de la tourmente révolutionnaire, elle réitère sa prière, probablement après la fuite à Varennes en juin 1791 : « Seigneur sauvez le Roi et bénissés sa famille, conservez la famille de St Louis et faites que ses enfans soient imitateurs de sa foi. » (p. 106). En outre, elle confie ses moments de faiblesse à Dieu : « Si vous ne me soutenez point de force, je me livre avec éclat à tous mes ressentimen & je m’abandonne à ma mauvaise humeur, à des indécences pitoyables, à des dégouts qui m’abbattent, qui empoisonnent tout ce qui me désole » (pp. 130-131).

Un peu avant la mort du comte en 1771, craignant d’être ennuyée par les héritiers légitimes de ce dernier et les créanciers, elle avait vendu son domaine de Tourvoie tout en conservant le titre et avait acheté une maison rue Popincourt, en face de l’ancien monastère des religieuses des Annonciades, où elle mourut.

Guigard, Nouvel Armorial du bibliophile, 1890, t. I, pp. 174-175 ; O ; H. R., Manuel de l’amateur de reliures armoriées françaises, pl. 2374.

Quelques taches, à l’origine d’un petit trou p. 155, sans gravité. Ressauts de cahiers, quelques discrètes restaurations à la reliure.

Rare document. Précieuse et émouvante provenance.

4 800 €