ARAGON. Amour, Anarchie, Humour. Exemplaire exceptionnel enrichi de deux manuscrits autographes inédits.

Aragon. Le Libertinage.

 

Aragon. Le Libertinage.

 

Louis Aragon. Le Libertinage. Paris, la Nouvelle Revue Française, 1924. In-8° de 254, [1] pp. Demi-chagrin rouge et jaune à coins, dos lisse, titre doré, année dorée en pied, double filet à froid sur les plats, percaline prune à petits carreaux sur les plats, gardes illustrées d’un semé de roses sur fond ivoire, tête dorée, couverture et dos conservés (Reliure du temps).

Aragon. Le Libertinage.

Édition originale, tirée à 900 exemplaire, celui-ci n° 103 sur les 750 réservés aux amis de l’édition originale sur vélin pur fil Lafuma-Navarre.

L’exemplaire est interfolié des épreuves sur recto seul, abondamment corrigées par l’auteur, principalement concernant la typographie et la mise en page. Avec les timbres humides de l’imprimeur F. Paillart, à Abbeville, 29, 31 janvier et 5 février, l’achevé d’imprimer étant daté du 31 mars 1924. Quelques feuillets renforcés au dos ; le ciseau du relieur a parfois rogné les indications de l’auteur.

Aragon. Le Libertinage.

Recueil de pièces de théâtre et de contes qui magnifient l’amour physique (« La femme française ») et exalte l’anarchie (« Lorsque tout est fini » où parait Jules Bonnot (« B. ») et sa bande en 1912). A signaler la « Préface », document important quant à la connaissance de l’auteur à cette époque mais aussi concernant le climat intellectuel du surréalisme, dont Aragon était en 1924 le représentant le plus conscient avec Breton. Il y exalte l’amour : « Je ne pense à rien si ce n’est à l’amour […] Il n’y a pour moi pas une idée que l’amour n’éclipse. Tout ce qui s’oppose à l’amour sera anéanti s’il ne tient qu’à moi. C’est ce que j’exprime grossièrement quand je me prétends anarchiste. C’est ce qui me portera aux pires exaltations, chaque fois que je sentirai l’idée de liberté un seul instant en jeu » (p. 9). Cette obsession de l’amour sera l’une des lignes de force de sa création.

Du point de vue du langage, le Libertinage contient « quelques-unes des pages les plus fascinantes que le poète ait écrites dans la première période de sa vie littéraire » (Laffont-Bompiani, Dictionnaire des œuvres, IV, 198-199).

 

L’exemplaire est truffé de deux manuscrits autographes à notre connaissance inédits :

La Manille parlante. Sans lieu ni date [Paris, entre mai et juillet 1922]. Manuscrit autographe signé « Louis Aragon » de 2 pp. ½ sur 3 feuillets in-4° rempliés, recto seul, sur papier réglé à en-tête illustrée de la Brasserie Excelsior, 81, Avenue de la Grande-Armée, Paris.

Aragon. La Manille parlante.

Manuscrit de premier jet, avec de nombreuses corrections, ratures et ajouts manuscrits.

Court texte rédigé en faveur de l’anarchiste Mécislas Charrier (1895-1922), fils du poète et écrivain anarchiste d’origine polonaise Mécislas Golberg (1869-1907). Bien que n’ayant pas directement de sang sur les mains, Charrier fut condamné à mort et exécuté le 2 août 1922 pour sa participation à l’attaque du train Paris-Marseille où un jeune homme qui avait tenté de résister fut tué ; en outre, un inspecteur avait été également tué lors de l’arrestation de ses complices qui furent abattus. Dans la cour de la prison de la Santé, le condamné marcha à la guillotine en chantant L’Internationale, Gloire au 17e et La Carmagnole. Il est le dernier anarchiste exécuté en France.

Probablement destiné à un journal, Aragon a vraisemblablement rédigé cet article à la table de la brasserie parisienne. Après avoir mis en exergue 4 vers extraits de Tard dans la nuit, poème de Pierre Reverdy, hommage à son ami (« Mais qui se préoccupe aujourd’hui de l’exil forcé de Pierre Réverdy ? ») : « Je suis assis La table est ronde / Et ma mémoire aussi / Je me souviens de tout le monde / Même de ceux qui sont partis », Aragon fait un parallèle entre le destin de Mécislas Golberg et celui de son fils promis à l’échafaud. Il évoque sans concession le poète libertaire « incroyable entasseur de truisme déconcertants, littérateur à la manque, penseur de camelots, dont, au delà de sa stupidité naturelle, l’attitude apparait désormais seule vraiment sympathique et digne d’encouragement. Pour lui, les idées de Socrate ne doivent leur fortune qu’au suicide de ce théoricien » ; et Aragon fustige un éditeur opportuniste, « et voici que c’est le meurtre du train 5 qui donne à un éditeur l’idée de réimprimer Mécislas. Ils seront volés, les curieux de ma connaissance, qui se sont précipités sur les Lettres à Alexis dans l’espoir de s’y procurer à bon marché, à l’ombre de la guillotine le frisson de la petite mort. Le chef d’œuvre de Golberg s’appelle vraiment Mécislas Charrier, et c’est à lui sans le connaître que les Amis de Golberg, sous la présidence de Paul Adam, rendaient hommage en publiant les fragments des Institutions sociales.

Il y a de singuliers héritages : ils trouvent à présent naturel ceux qui indistinctement du père ou du fils en aient fait un criminel ou un génie que pour tout potage en guise de droits d’auteur Charrier touche une condamnation à mort. Détournons-nous, écrit sa mère, de la tombe de Fontainebleau[où Golberg repose]. C’est sur cette tombe pourtant, et non sur celle qui se prépare, que furent prononcés les discours. Le couperet, lui, on le réserve au seul homme qui ait pu dire à voix haute, sans exciter l’hilarité : Mon intérêt je m’en fous” » Il dénonce la bassesse populaire et les relents d’antisémitisme, de xénophobie et d’anti-anarchisme : « Écoutez maintenant les gens des métros et des cafés. La belle occasion de rendre responsable de n’importe quoi les juifs, les russes, les anarchistes, les intellectuels. Personne ne s’en prive. Et ce n’est pas l’insuffisance de sa pensée, ce n’est pas la vulgarité de sa rhétorique, qui permettent aujourd’hui au premier venu de faire en cinq-sec son affaire au colosse de baudruche qui en imposait à Mirbeau ».

Aragon. La Manille parlante.

En fait, selon lui, il revenait au fils de détruire la mémoire d’un père célèbre, satire œdipienne grinçante des récentes théories freudiennes : « il appartenait au fils de perdre dans le cœur des braves gens la mémoire de son père. Ah si j’avais eu un père illustre comme je me serais amusé à détruire sa réputation rien qu’à verser un peu de sang polytechnicien au dessous d’un signal d’alarme. C’est facile. » Puis et il met en garde avec un humour acerbe les célébrités du moment, littéraires, scientifiques et militaires contre leur progéniture. « Chers Messieurs, qui avez pris des obligations à lot sur la postérité, François de Curel, Maurice Barrès, Rudyard Kipling, Gabriele d’Annunzio, par exemple, prenez garde à votre progéniture : elle pourrait bien vous casser les pattes. Je donne gratis ma recette à Monsieur Maurice Rostand qui semble souffrir de la concurrence paternelle : on se met un masque sur la figure et on monte dans le rapide à contre-voie.

Jean-François Lacenaire, assassin que Laforgue cite au rang de grand romantique, entre Châteaubriand et Byron, mais que Monsieur Paul Souday tient pour un méchant poète, comme on lui demandait quel usage il ferait de sa liberté s’il la recouvrait, répondit : Je recommencerais. Monsieur Millerand qui n’a pas gracié Landru, va-t-il recommencer ? Je l’ignore encore à l’heure actuelle. » Le poète poursuit en imaginant Foch ou Albert Einstein [récemment lauréat du prix Nobel] en violeurs assassins d’enfants. « En attendant, je me livre au joli jeu mental de passer nos meilleures célébrités au trébuchet d’affaire criminelle, et je m’amuse ainsi à me demander ce que deviendraient le Maréchal Foch ou Einstein si l’une ou l’autre de ces deux gloires internationales se mettait tout à coup à faire son petit Soleilland. » [Albert Soleilland (1881-au bagne en1920) fut reconnu coupable du viol et du meurtre d’une fillette de onze ans, en 1907]. Aragon conclue par des attaques à l’ironie cinglante contre trois écrivains qu’il juge médiocres : « Après tout, mes amis, il n’est jamais trop tard pour bien faire : Monsieur René Bazin peut encore, comme le marquis de Sade, attacher son nom à un vice, Monsieur Fernand Vandérem peut acquérir le sens critique et Monsieur Binet-Valmer un beau jour passer pour un écrivain de talent. »

 

Humour, ou Plus profond qu’on ne croirait. Comédie en trois actes traduite de l’allemand, avec infidélité, de Christian Dietrich Grabbe par Louis Aragon et précédé d’un Petit traité du Blasphème de la main du traître [sic]. Se trouve à Paris, aux Éditions de la Sirène. Sans lieu ni date [vers 1923]. Cahier manuscrit autographe à l’encre noire, (18,8 x 11 cm), de [21] ff. réglés, texte au recto avec les didascalies en regard écrites au verso, tranches rouges.

Aragon. Humour.

Traduction de Scherz, Satire, Ironie und tiefer Bedeutung, écrite par Gabbe en 1822 et publiée en 1827 (Dramatische Dichtungen, Frankfürt, J.C. Hermann, 1827). Un classique de l’humour noir qualifié par André Breton d’« Une œuvre dont la géniale bouffonnerie n’a jamais été surpassée ». La pièce fut traduite par Alfred Jarry et partiellement publiée en 1900 dans la Revue Blanche sous le titre Les Silènes, puis par Aragon dans Paris-Journal fin avril 1923. Le théâtre de Grabbe fut tiré de l’oubli par les surréalistes ; notre manuscrit s’inscrit parfaitement dans cette démarche. Le lieu de publication annoncé par Aragon, les « Éditions de la Sirène », ne serait-il pas un clin-d’œil aux Silènes de Jarry, tout en faisant référence à la maison d’édition avant-gardiste Sirène créée par Paul Laffitte à Paris en 1917, et qui lançait de jeunes auteurs prometteurs ?

Aragon. Humour.

La traduction du poète, raturée et corrigée, s’arrête à la moitié de la scène 3 de l’acte I, correspondant aux pp. 53 à 82 de l’édition allemande de 1827, et sa traduction diffère de celle proposée par Jarry. Aragon aurait-il eu l’intention de traduire la pièce de Grabbe pour finalement se résoudre à en publier dans Paris-Journal qu’il dirige alors la traduction partielle de Jarry ? Il s’agirait donc là d’un intéressant projet éditorial avorté.

La pièce paraitra en 1971, dans la traduction de Henri-Alexis Baatsch, sous le titre Plaisanterie, Satire, Ironie et Sens plus profond, chez Éric Losfeld, Ludd.

Le Petit Traité sur le Blasphème annoncé ne figure pas. Autre projet sans lendemain ?

Exemplaire exceptionnel.

6 000 €