Jean Cocteau décore la chapelle Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer et la salle des Mariages à la Mairie de Menton

Cocteau Menton

 

Jean Cocteau (1889-1963). Lettre autographe signée « Jean Cocteau », Milly, 18 juin 1956, à « mon très cher ami » [le peintre Jean-Paul Brusset]. 2 pp. in-4° au crayon.

En 1955 le peintre Jean-Paul Brusset (1909-1985) s’était installé sur la côte d’Azur, travaillant la céramique à Vallauris ; il avait inauguré la fondation Maeght à Saint-Paul de Vence. Jean Cocteau lui a demandé son aide pour la décoration des fresques de la chapelle Saint-Pierre de Villefranche-sur-Mer et de la salle des Mariages à la Mairie de Menton.

Exceptionnelle lettre sur leur collaboration.

Cocteau y expose son organisation du travail, la méthode de travail et le partage des taches, ainsi que sa technique au trait.

Cocteau. Menton et Villefranche-sur-Mer.

Mon très cher ami

Je ne peux vous dire combien la noblesse de votre lettre m’a touché le cœur après la dureté de la mienne (qui était une sorte d’épreuve dont vous êtes sorti vainqueur) [;] a la minute exacte où je me trouve aux prises avec la morgue de lettristes (pour le Prix de Poésie) votre simplicité me semble exquise et me voilà libre de vous féliciter pour votre remarquable dessin du menu de « Mirabelle«  à Londres.

Notre travail – (puisque vous ne me refusez pas votre aide) sera entre la fin Juillet, commencement d’Août – à moins que la mairie de Menton ne soit prête qu’en Septembre – auquel cas nous débuterions par Villefranche.

Les maires sont d’accord afin de vous rendre voyage et séjour agréables – et comme vous aurez beaucoup de temps, je devine que vous ferez de magnifiques dessins dans vos propres albums.

Cocteau. Menton et Villefranche-sur-Mer.

IIII Voici la méthode de travail que je préconise entre nous : Je vous montrerai d’abord les lieux. Puis les dessins (déjà très poussés). Je vous laisserai les gradins à la plus vaste échelle possible – je n’aime pas les « petits personnages«  – de telle sorte que si je me suis trompé dans les mes mesures vous les réparerez corrigerez en rapprochant au besoin les personnages, jusqu’à ce qu’ils tiennent tous ensemble dans le décor. J’ai fait certains détails à part de telle sorte qu’il ne reste vraiment qu’à les agrandir. (Une fleur par exemple ou un œil) – Un spécialiste italien vous aidera pour le plafond de la mairie qui représente, outre un cheval qui vole et un géni un ange en loques, une terrible fatigue technique. (Le plafond de la chapelle est plus facile – en trompe-l’œil architectural et ciel). Comme je dessinerai au trait noir assez fort sur un autre trait frotté de couleur (un cerne) il faudra faire tracer le dessin préparatoire avec une matière autre que le fusain de manière à ce pour que la ligne me soit bien lisible et que le cerne ne l’efface pas. Il illustre son propos d’un petit schéma en « exemple » montrant le trait « noir » au centre d’un cerne « bleu de ciel ou vert pâle ou jaune pâle etc ». Ce cerne de couleur donnera la vie au trait noir. J’ai évité le genre « pochades«  de la chapelle de Matisse. Il y a énormément aura un grand nombre de personnages et tous d’un contour linéairement plein. Du reste, en route, nous inventerons et trouverons notre lyrisme et notre exactitude vivante. Dites moi vite en passant un matin au Palais Royal si ces idées vous plaisent.

Votre

Jean Cocteau

A noter, après une pique lancée à Matisse et à sa chapelle du Rosaire de Vence, sa flamboyante conclusion poétique et prophétique : « en route, nous inventerons et trouverons notre lyrisme et notre exactitude vivante » ; il inventera ce qui sera appelé « le style de Menton ».

A la demande de Monsieur Francis Palmero, Maire de Menton,  Cocteau décora la Salle des Mariages de la mairie de 1957 à 1958. L’inauguration eut lieu le 22 mars 1958.

1 300 €