Gustave Courbet écrit à Victor Hugo. Persécution et espoir. L’une de ses plus belles lettres.

G. Courbet, lettre autographe signée à V. Hugo.

 

Gustave Courbet (1819 – 1877), peintre. Lettre autographe signée « Gustave Courbet », Salins, 28 novembre 1864, au « cher et grand poète » [Victor Hugo]. 3 pages et demie in-8°.

Magnifique lettre adressée au grand poète en exil à Guernesey. Courbet se plaint des persécutions qu’il subit contre son art et sa personne, concluant cependant par une note de poésie et d’espérance.

G. Courbet, lettre autographe signée à V. Hugo.

G. Courbet, lettre autographe signée à V. Hugo.

G. Courbet, lettre autographe signée à V. Hugo.

G. Courbet, lettre autographe signée à V. Hugo.

 

Cher et grand Poète

Vous l’avez dit, j’ai l’indépendance féroce du montagnard ; on pourra je crois mettre hardiment sur ma tombe, comme dit l’ami Buchon : Courbet sans courbettes.

Mieux que tout autre, Poète, vous savez que notre pays est heureusement en France le réservoir de ces hommes bouleversés des fois comme les terrains auxquels ils appartiennent, mais souvent aussi taillés dans le granit.

Ne vous exagérer pas ma valeur, le peu que j’ai fait était difficile à faire, quand je suis arrivé ainsi que mes amis, vous veniez d’absorber le monde entier, en César humain et de bonne forme.

A la fleur de votre âge, Delacroix et vous n’aviez pas comme moi l’empire pour vous dire, hors de nous point de salut. Vous n’aviez pas de mandats d’amener contre votre personne, vos mères ne faisaient pas comme la mienne des souter[r]ains dans la maison pour vous soustraire aux gens d’armes.

Delacroix n’a jamais vu chez lui des soldats violant son domicile [,] effaçant ses tableaux avec un baquet d’essence par ordre d’un ministre, on ne mettait pas ses œuvres à la porte de l’Exposition arbitrairement, on ne faisait pas avec ses tableaux des chapelles ridicules en dehors des salons de l’Exposition. Les discours officiels de chaque année ne le désignait [sic] pas à l’animadvertion publique [,] il n’avait pas comme moi cette meute de chiens batards hurlants a ses trousses au service de leurs maîtres batards eux-mêmes [,] les luttes étaient artistiques, c’était des questions de principes, vous n’étiez pas menacés de proscriptionLes cochons ont voulu manger l’art démocratique au berceau [,] malgré tout l’art démocratique grandissant les mangera.

Malgré l’oppression qui pèse sur notre génération [,] malgré mes amis exilés [,] traqués même avec des chiens dans les forêts du morvan, nous restons encore 4 ou 5 [,] nous sommes assez forts [;] malgré les renégats, malgré la France d’aujourd’hui et les troupeaux en démence nous sauverons l’art [,] l’esprit et l’honnêteté dans notre pays.

Oui j’irai vous voir, je dois a ma conscience de faire ce pèlerinage, avec vos Châtiments vous m’avez vengé à demi.

J’irai depuis votre retraite sympatique contempler le spectacle de votre mer, les sites de nos montagnes nous offrent aussi le spectacle sans bornes de l’immensité [,] ce vide qu’on ne peut remplir donne du calme. Je l’avoue [,] Poète [,] j’aime le plancher des vaches et l’orchestre des troupeaux sans nombre qui habitent nos montagnes.

La mer ! la mer ! avec ses charmes m’attriste, elle me fait dans sa joie l’effet du tigre qui rit ; dans sa tristesse elle me rappelle les larmes du crocodille, et dans sa fureur qui gronde le monstre en cage qui ne peut m’avaler.

Oui oui j’irai quoique ne sachant pas jusqu’à quel point je me montrerai à la hauteur de l’honneur que vous me ferez en posant devant moi.

Tout a vous de cœur

Gustave Courbet

Salins le 28 novembre 1864

Malgré sa volonté d’aller à Guernesey, les deux hommes ne se rencontreront qu’au début de la Commune, en mars 1871, lors des funérailles du fils de Hugo, Charles, et Courbet ne peindra jamais son portrait.

Timbre humide [d’Alfred Normand ?]

Lettres & manuscrits, petits et grands secrets, Paris, Musée des lettres et manuscrits et Flammarion, 2010, pp. 220-221 ; Des Lettres et des Peintres. Manet, Gauguin, Matisse… Confidences de quarante artistes, [Paris], Musée des lettres et manuscrits et Beaux-Arts Éditions, 2011, pp. 46-47 [exposition présentée au Musée des lettres et manuscrits, à Paris, du 29 avril au 28 août 2011].

Petites fentes sans gravité à la pliure.

G. Courbet, lettre autographe signée à V. Hugo.

Une des plus belles lettres du peintre, qui plus est adressée à Victor Hugo, son compatriote franc-comtois.

16 000 €