Jules Lemaitre (1853-1914), membre de l’Académie française, antidreyfusard et président de la Ligue de la Patrie Française. Quelques documents sur la Franc-Maçonnerie. Manuscrit autographe doublement signé « Jules Lemaitre » (à la 12e page), sans lieu ni date [vers 1899]. 13 pages numérotées en montage de textes collés au recto de 13 feuillets in-8°. Encre bleue et noire. Illustré par Jules Lemaitre partant en guerre contre les francs-maçons. Impression en noir rehaussée au pastel de couleurs, contrecollée sur papier fort (30 x 44 cm) parue dans l’hebdomadaire satirique Le Rire, n° 258, le 14 octobre 1899 ; le dessin est sous-titré : « Cependant que le divin Coppée repose son corps fatigué par les batailles… le vaillant Jules Lemaitre descend courageusement dans le ténébreux séjour de la franc-maçonnerie ».
Intéressant document antimaçonnique destiné à être publié.
Jules Lemaitre fustige l’influence occulte de la Franc-Maçonnerie sur le pouvoir politique et se pose en victime de l’ « intolérance » maçonnique.
C’est le quatrième article qu’il écrit sur la Franc-Maçonnerie. « Ce ne sera pas le dernier. La répétition est un moyen d’action incomparable. » Il se propose de livrer à ses lecteurs les documents dont il dispose prouvant que la Maçonnerie est « une association politique et une association secrète, vous le savez déjà ; mais vous en serez encore plus persuadés quand je vous aurai mis sous les yeux une partie – bien petite – des documents dont je dispose. Je vous les donnerai d’affilée et sans les entremêler de commentaires : ils sont assez significatifs par eux-mêmes. »
Suivent, sous le titre « La Franc-Maçonnerie est une association politique et oppressive de la liberté de conscience » (pp. 1-4), de nombreux extraits de compte-rendu des Convents de 1893 à 1898 mettant en lumière les fraternelles parlementaires et la grande influence du Conseil de l’Ordre sur les chambres et le Gouvernement (« vœu Pochon », lutte contre les congrégations, fichage, Léon Bourgeois et son ministère, emprise du Conseil de l’Ordre sur les élus via les Loges de province, etc. ) ; il ne peut cependant s’empêcher de faire quelques commentaires : « Cinq, au moins, des ministres actuels sont francs-maçons. On en connait 166 à la Chambre des Députés. Quant au Sénat, ce n’est, pour une bonne moitié, qu’une Loge sinistre, un sombre ramassis de Vénérables. Une fois députés ou sénateurs, quelques Maçons essayent d’échapper aux Loges. Mais celles-ci se cramponnent. En 1897, un F. ingénieux propose d’instituer à Paris un Convent permanent où les parlementaires seraient délégués de leurs Loges provinciales. ».
D’autres extraits de même source, sous le titre « La Franc-Maçonnerie est une association secrète » (pp. 5-8), évoquent le secret maçonnique, notamment l’appartenance à l’Ordre. L’écriture est plus appliquée et plus lisible, les notes étant sans doute plus anciennes ; en outre, Lemaitre a rayé tous les noms des Frères qu’il avait cités. Il a annoté, concernant le compte-rendu du Convent de 1897 : « Le volume n’est pas déposé à la Bibliothèque Nationale. Il porte en exergue : “ Ce compte-rendu n’est pas destiné à être publié ”. » Après ces citations édifiantes, l’auteur livre son propre commentaire (pp. 9-13). « La maçonnerie est une association politique, particulièrement ennemie de la liberté de conscience, et la Maçonnerie est une association secrète. Cela veut dire qu’elle est deux fois tyrannique. » Il ne s’adresse pas aux catholiques pratiquants, mais « à tous les esprits indépendants, à toutes les âmes un peu délicates, à tous les libres-penseurs dignes de ce nom si souvent usurpé par des nigauds qui ne sont ni libres ni pensants, à tous ceux enfin qui ont le sentiment de la justice et qui respectent la dignité de la personne humaine. » Il défend au passage les congrégations : « N’est-il pas odieux et imbécile de haïr et de vouloir proscrire des concitoyens qui d’ailleurs forment une fraction considérable et peut-être la majorité de la nation, uniquement uniquement parce qu’ils admettent une explication supra scientifique de l’univers et parce qu’ils conçoivent autrement que vous l’ “ inconnaissable ” ? ». Il se pose en traditionnaliste, défenseur d’ « une tradition dont on ne saurait nier qu’elle ait inspiré à nos aïeux des vertus qui ont contribué jadis à “ faire ” la France. » Il défend la liberté de penser et en appelle même à Auguste Comte « un de leurs dieux pourtant » qui « n’aurait pas assez de mépris pour ces violateurs du droit le plus sacré d’une créature humaine : celui d’interpréter selon ses forces et selon ses besoins moraux l’énigme de la vie. » Même si les Francs-Maçons, « les uns politiciens sans âme, les autres, fanatiques illettrés – n’ont pas de très grands cerveaux », ce n’est pas une excuse, « on peut toujours être juste et bon, ou essayer de l’être ».
Il reconnait cependant la croyance sincère des maçons en leur idéal « qui serait d’imposer à tous les hommes, par la violence, l’hypothèse rationaliste, si courte, si pauvre, si obscure, et d’ailleurs aussi indémontrable que l’autre ». Considérant leur culte du secret, il met en doute la pureté de leurs intentions. « Mais s’ils croient leur œuvre bonne, pourquoi se cachent-ils ? Que craignent-ils donc ? Ne sont-ils pas tout puissants ? Le budget et les places ne sont-ils pas leur proie ? Ne jouissent-ils pas d’une liberté qui m’est refusée à moi ? Pourquoi ces hommes qui donnent envoient leur mot d’ordre aux ministres et à la moitié des parlementaires travaillent-ils dans l’ombre et fuient-ils les responsabilités ? … Cet amour des ténèbres, ils en pourraient donner les raisons : mais ces raisons n’auraient-elles pas quelques choses d’un peu déshonorant pour eux ? » Il se déclare tolérant, « la tolérance étant la charité de l’esprit », et demande l’égalité de droit pour tous. Provocateur, il « aspire à être toléré comme si j’étais franc-maçon » et ajoute cependant qu’il éprouve « à l’endroit des Fils de la veuve, une méfiance profonde, justifiée par les ténèbres où ils se dérobent. Et je voudrais que les braves gens de France fussent prix de honte en considérant le rôle exorbitant qu’ont pu jouer, depuis vingt années, 16000 tyrans occultes, 16000 ennemis de la liberté de conscience (C’est le chiffre approximatif des sectateurs du G. O. de France ; je laisse de côté les 8000 adhérents des autres rites qui ont beaucoup moins de vernis.) Il compare la tyrannie qu’exerçait la Congrégation sous Charles X à la Franc-Maçonnerie sous la troisième République, « à cela près que les jésuites avaient assurément plus de vertus individuelles et que le dogme catholique implique, après tout, les commandements de charité et d’assistance universelle. Nous laisserons-nous dominer par ces jésuites rouges qui se moquent parfaitement des pauvres gens […] tout en souciant fort peu de leur rendre cette vie meilleure, n’ont pas même pas un paradis à leur promettre ? » Il en revient à sa conclusion habituelle, à savoir la victimisation de la Ligue de la Patrie française dont il est le président et l’impunité de la maçonnerie. Il veut bien que l’on tolère cette dernière mais demande « qu’on tolère pareillement notre Ligue, qui n’est pas politique et qui n’a rien de secret. Nous poursuivre comme on le fait, pendant qu’on les laisse tranquilles, c’est une injustice monstrueuse, et si lâche ! Et la chose devient tout à fait inqualifiable et perfidement [?] fantastique, quand on se dit que le chef de l’Etat, cinq ministres, 166 députés et peut-être 200 sénateurs appartiennent à une association politique, secrète et non autorisée ! Et enfin, il reste profondément absurde et inique que, tandis qu’on me traduit devant le juge d’instruction, on refuse de poursuivre le président de la Ligue des Droits de l’homme. » [La LDH fut créée en juin 1898]. Après avoir signé, et barré sa signature, il ajoute entre parenthèses « (sera continué autant aussi longtemps qu’il le faudra) ». Il signe à nouveau et ajoute en P. S. « A ceux que l’arbitraire indigne encore. La Ligue de la Patrie française s’abstient provisoirement de toute manifestation publique, mais nos listes restent ouvertes. Sous quelque tyrannie que nous vivions, nulle loi ne m’empêche de recevoir des signatures qui signifieront voudront simplement dire simplement : nous trouvons bon que des Français se proposent “ de maintenir et de fortifier l’amour de la patrie et le respect de l’armée nationale et d’éclairer l’opinion sur les grands intérêts du pays. ” »
Jules Lemaître est l’auteur de plusieurs ouvrages parmi lesquels un opus antimaçonnique titré « La Franc-Maçonnerie » (M.A. Loret, 1899).
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