Deux poignants témoignages de l’amour que portaient Alphonse de Lamartine et son épouse Marianne à la mère du poète.

Lamartine poème

Lamartine. Mort de sa mère.Marianne Élisa de Lamartine, née Mary-Ann Élisa Birch (1790 – Paris, 1863), artiste peintre et sculptrice française d’origine anglaise, épousa Alphonse de Lamartine le 6 juin 1820. Lettre autographe signée « ton M – », sans lieu [Saint-Point ?], lundi [16 novembre 1829] (Elisa ne datait jamais ses lettres, ni ne précisait le lieu), à « Mon Alphonse » [Lamartine]. 3 pp. ½ bi-feuillet in-4°. Adresse au dos « pour Alphonse » de Lamartine, qui a ajouté de sa main « mort de ma mère 16 nov. »

Françoise-Alix de Lamartine, née des Roys (Lyon, 1766 – Mâcon, 1829) avait pris l’habitude d’écrire chaque soir, dans son journal intime, le résumé de sa journée dans le dessein de faire plus régulièrement son examen de conscience, d’apprendre à régler sa vie et de charmer ses longs moments de solitude intellectuelle. Elle ouvrit son premier cahier en 1801 – époque où, avec sa famille, elle réside au château de Milly, acquis par son époux en 1797 – et ferma le dernier en 1829. Son fils reprit cette œuvre et la publia, en supprimant les passages trop intimes et en y effectuant des amendements.

Émue à l’annonce de l’élection de son fils à l’Académie française (le 5 novembre), elle s’ébouillanta en tentant de prendre un bain pour reprendre son calme et mourut après quelques jours d’agonie. Rentré à Mâcon, son fils fit extraire, de nuit, son cercueil, l’ouvrit et, après avoir embrassé sa mère, fit transporter la bière à Saint-Point.

 

«  [….] Sa foi était si vive qu’elle a vu la mort avec plaisir. Elle nous souriait lorsque nous la regardions longtems après qu’elle avait cessé de parler. Elle reçu le curé avec un calme angélique reçu tous les sacremens et les indulgences plénières. Elle dit deux fois après je suis bien heureuse. Elle avait gardé toutes ses facultés pour Dieu – et ne pensait plus à la terre [;] elle n’a pas exprimé un regret. Physiquement elle était engourdie  & comme paralysée [,] ce qui lui a épargné bien des souffrances. Et elle avait toute sa tête et toute son ame pour l’élever au ciel comme une béatifiée. Je ne l’ai pas quitté un instant, depuis samedi matin elle était dans un calme trompeur pour nous. Nous n’avions aucune inquiétude. Et cependant je m’étonnais de la voir souffrir si peu, je ne pouvais comprendre comment elle était insensible à un état ordinairement si douloureux & pourquoi cette cessation  de souffrance était survennue tout à coup. Mais nous étions trompés par l’idée que ses premières douleurs avaient été comme elle nous le disait elle-même nerveuses – et que les calmants avait agit & produit ce bien être dont nous nous réjouissions. Cortambert & Dufour [médecins à Mâcon] ne partagèrent pas longtems notre sécurité. Les symptomes d’une atonie universelle était évident pour eux & dimanche matin l’affreuse vérité nous a été communiqué. Jugez de ce que j’éprouve pour toi, depuis. Non il n’y a que dieu qui puisse le savoir.

Elle a toujours conservé toute sa tête, a parlé au curé bien  & sans trouble, et depuis qu’elle a reçu les sacremens, elle n’a presque plus parlé que pour dire je suis heureuse, bien heureuse. Elle prennait d’heure en heure une potion ou du bouillon, jusqu’au dernier moment que je lui posai le crucifix sur les lèvres à deux heures du matin !!. Un souffle un peu plus fort m’a seule donné la certitude dont j’ai encore voulu douter longtems ! » Elle prie le Seigneur. « Ayez pitié d’Alphonse ! » et souhaite qu’il lui laisse porter sa douleur« non pas en la cachant au contraire laisse moi la porter toute entière, mais laisse moi voir qu’elle ne t’accable pas ». Elle soutient efficacement sa sœur Sophie, son père et sa propre mère, très affectés. Elle attend Monthérot, le beau-frère d’Alphonse,  qu’elle a envoyé chercher hier. Elle concertera avec lui. Ligonet & St. Léger, probablement des prêtres, font tout ce qu’il est possible de faire, « mais il y a des douleurs auxquelles dieu seul peut porter soulagement. Tu sais comme je l’aimais. J’ose à peine me l’avouer plus que ma propre mère ! Mais je t’aime avec toute la force de toutes les affections réunies !! Prie, pleure, mais n’en sois pas malade, ce serait plus que ne pourrais supporter. » Enfin elle espère que la santé de son père ne souffrira pas trop de ces épreuves, « il est déjà assez calmé depuis ce matin, et toi calme toi. Et dieu te bénisse. Julia dit – dites lui que je l’aime tant.                                                                 

                                                                                                  ton M – »

 

Cortembert et Dufour étaient médecins à Mâcon ; Pierre-Louis Cortembert (1772-1839) fut en outre secrétaire de la Société des arts, sciences et belles lettres de la ville, et Dufour fera don en 1853 à la bibliothèque de Mâcon d’environ mille ouvrages de médecine.

Pliures, petites déchirures aux plis sans manque. 

 

Lamartine. Poème en partie autographe orné par Elisa.Alphonse de Lamartine. [La Fenêtre de la Maison Paternelle]. Poème autographe signé en partie inédit, Saint-Point, 1er novembre 1839. Élégamment enluminé originellement à l’aquarelle et rehaussé à l’or par son épouse Marianne-Élisa de Lamartine. Sous verre, dans un encadrement de l’époque en velours bouton d’or et baguette dorée (haut en arc de cercle). Dimension : 38 x 27 cm.

Très beau poème élégiaque des Troisièmes Méditations poétiques, en partie inédit, La Fenêtre de la Maison Paternelle, publié dans l’Édition des Souscripteurs, daté quelques jours avant la date anniversaire du décès de sa mère. Alphonse et Élisa unissent leurs talents pour rendre un émouvant hommage à celle qu’ils aimaient tant.

Notre manuscrit présente de nombreuses différences avec la version définitive (v. d.). éditée en 1840. De plus, la strophe centrale de 4 vers a été supprimée et est restée inédite (également absente de l’édition de la Pléiade, Œuvres poétiques complètes. pp. 1205-1206), probablement dans un souci de symétrie entre les deux premières strophes évoquant le bonheur de l’enfance et les deux dernières empreintes de sombre nostalgie.

 

Autour du toit qui nous vit naître

Un pampre étalait ses rameaux,

Ses grains pendants sur [« dorés, vers » dans v. d.] la fenêtre [« , » dans v. d.]

Attiraient les petits oiseaux.

 

Ma mère étendant sa main blanche,

Rapprochait les grappes de miel,

Et ses enfants suçaient la branche [« , » dans v. d.]

Qu’ils rendaient aux oiseaux du ciel.

 

Perçant à travers le feuillage

Les sereines lueurs du jour

Flottaient sur son charmant visage

Entre le sourire et l’amour                                     

 

L’oiseau n’est plus ; [« , » dans v. d.] la mère est morte ;

Le vieux cep languit jaunissant ; [« , » dans v. d.]

L’herbe épaisse [« d’hiver » dans v. d.] croît sur la porte ; [« , » dans v. d.]

Et moi, je pleure en y pensant !… [« . » dans v. d.]

 

C’est pourquoi la vigne enlacée

Aux mémoires de mon berceau [« , » dans v. d.]

Porte à mon âme une pensée [« , » dans v. d.]

Et doit ramper sur mon tombeau.

 

Marianne-Élisa de Lamartine a enluminé avec élégance le poème d’un grand L à l’or, soutenant des chapelets de fleurs et des guirlandes végétales, avec en son centre le « pampre [qui] étalait ses rameaux, ses grains pendants » évoqué par le poète.

Ces vers furent écrits pour Mme de Montjoie, dame d’honneur de la reine Marie-Amélie. La date autographe au bas de notre document confirme que ce poème est bien antérieur à 1840, date de la mort du père de Lamartine, levant ainsi le doute indiqué dans la note de l’édition de la Pléiade

Velours d’encadrement râpé, un tout petit accident à la baguette, cartonnage du dos anciennement ouvert, sans atteinte au document. Très bel état cependant.

Exceptionnel ensemble, particulièrement émouvant.  

Vendu