Louis XVI. Maximes morales et politiques tirées de Télémaque ; imprimées par Louis-Auguste, Dauphin. Versailles, De l’Imprimerie de Mgr le Dauphin, dirigée par A. M. Lottin, Libraire & Imprimeur ordinaire de Monseigneur le Dauphin, 1766. In-8° de 36 pages de texte suivies de ij pages de table. Bois aux armes du dauphin au titre, bandeau, titre et texte encadrés. Maroquin rouge à long grain, dos lisse richement orné, titre doré, encadrement de filets dorés et d’une large roulette à froid, pointillé doré sur les coupes, pointillé et filet dorés sur les chasses, gardes de tabis pêche, sous étui en forme de volume in-8°, en maroquin violet sombre à long grain, doubles filets et titre dorés au dos, tranches ornées d’une roulette d’étoiles dorées, encadrement sur les plats composé d’un double filet doré, d’une large dentelle à froid de lys et d’une roulette dorée avec fleur de lys en écoinçons, armes de Louis XVI au centre des plats, large ruban mauve servant de tirette au plat inférieur.
Édition originale, de toute rareté car tirée seulement à 25 exemplaires, imprimés sous les presses royales du château de Versailles. L’ouvrage sera réédité en 1799 sous le titre Maximes morales et politiques tirées de Télémaque, imprimées par Louis Auguste, Dauphin, depuis Louis XVI roi de France, puis par Royer en 1814 et par Didot en 1815.
Dans le cadre de ses études, le Dauphin avait rédigé 26 maximes sur les devoirs d’un roi, inspirées des Aventures de Télémaque de Fénelon. La Vauguyon, son gouverneur, satisfait du travail de son royal élève, profita de ce que Lottin, imprimeur ordinaire du Dauphin depuis le 30 décembre 1765, enseignait la typographie à Louis-Auguste du 9 au 21 mars 1766, pour lui en faire imprimer de sa main 25 exemplaires et en offrir un au roi.
Le libraire-éditeur Pierre Châteauneuf raconte les circonstances de cette impression : « cette petite édition fut faite dans l’appartement même de monseigneur le Dauphin, dirigée par A. M. Lottin, son libraire et imprimeur ordinaire. Louis XVI avait alors douze ans, le comte de Provence onze, le comte d’Artois neuf ; ces trois Princes assistèrent exactement aux opérations typographiques ; monseigneur le Dauphin tira de sa main tous les exemplaires, montant à vingt-cinq. » (Bulletin du Bibliophile belge, Bruxelles, 1856, tome XII, p. 26-27). Ces 25 exemplaires, imprimés, d’après Quérard, « pour la cour seulement », étaient destinés à être offerts par Louis-Auguste. Le nôtre provient de la bibliothèque de Charles Nodier. Il sera vendu aux enchères en 1829, dans son étui de maroquin, n° 120 de la vente. Nodier pense que le Dauphin l’avait conservé pour son usage personnel, comme il l’écrit dans ses Mélanges tirés d’une petite bibliothèque, chapitre VIII, p 97 et suivantes : « La simplicité de la condition de celui-ci indique assez qu’il avoit été destiné à rester dans le cabinet de son illustre auteur, et il est probable qu’on n’en trouveroit pas un autre dans toutes ses marges ; mais cette particularité n’auroit pas suffi pour lui donner ici une place que trop d’autres livres précieux réclamoient au même titre. Voici celle qui le distingue, suivant moi, de manière à le classer parmi les plus rares curiosités de ma bibliothèque. Au-devant du frontispice est insérée la note suivante : Anecdote. » Il s’agit de la fameuse « Anecdote » autographe de « M. de S[aint]-Maigrin fils du Duc de la Vauguyon », Gouverneur du Dauphin, à propos de cet ouvrage, bien reliée dans notre exemplaire. 1 p. in-12.
« Sitot que le Dauphin ([aujourd’hui régnant cancellé]) eut achevé l’impression de ce petit volume, il en fit relier plusieurs exemplaires pour faire ses présens. Le premier fut pour Louis XV son ayeul. Sa Majesté ouvrant le volume a la page 15. lut l’article IX, le relut et dit au Dauphin : “Monsieur le Dauphin votre ouvrage est fini, rompés la planche”. Cette anecdote a été rapportée par un témoin auriculaire. » Voici l’article IX en question : « Quand les Rois ont une fois rompu la barrière de la bonne foi & de l’honneur, ils ne peuvent plus rétablir la confiance qui leur est si nécessaire, ni ramener aux principes de vertu & de justice les hommes à qui ils ont appris à les mépriser ; ils deviennent des Tyrans, leurs Sujets des rebelles, & il n’y a plus qu’une révolution soudaine qui puisse ramener leur puissance ainsi débordée, dans son cours naturel. »
Suit un brillant et émouvant commentaire de Nodier sur cette « révolution prophétisée » : « Ici les réflexions se pressent en foule, et on ose à peine les recueillir. On ne pense pas sans effroi que cette maxime, c’est Louis XVI qui l’a choisie, que c’est la main de Louis XVI qui l’a imprimée, que c’est Louis XV qui en a apprécié la portée avec une énergie si amère ; car il ne faut pas s’y tromper, ces mots étonnants : « Votre ouvrage est fini, rompez la planche », ne peuvent pas se rapporter au travail mécanique de l’impression. L’impression était achevée ; le Dauphin avait fait relier plusieurs exemplaires, la planche était rompue. On ne saurait y voir qu’une menaçante allusion, qu’une espèce d’allégorie prophétique de cette révolution prochaine, dont tout le monde sait que l’esprit de Louis XV étoit profondément préoccupé. »
L’exemplaire est de plus enrichi d’autres précieux documents :
- Une note autographe de Louis XVI, sans lieu ni date [1782 ?]. 1 p. ¼ in-16. Intéressant document concernant le Service quotidien des Grands Appartements de Versailles. Le monarque y précise les prérogatives de Marc-Antoine Thierry, baron de Ville-d’Avray (1732 – massacré en 1792 à la prison de l’Abbaye), premier valet de chambre du roi. En 1782 il avait obtenu la surintendance des petits cabinets. Louis XVI fixe également les modalités du service de table.
« Service des C[omp]tes Appartements. A compter du 1er Janvier prochain tous les comptes de Dunan [?], Geraud, Daivest [?], Richard etc. seront rendus a Thierry, ce sera lui qui les examinera et me les apportera il payera aussi toute la dépense tous les mois comme par le passé. Il aura aussi à payer la dépense de Richard et de Barbier de Trianon et les retraites de l’équipage du Daim que Barbier Guimard payoit. Voisin et Gauvin s’adresseront aussi a lui a la fin de chaque quartier pour le payement de leurs dépenses. Fleury me servira a table comme faisoit Guimard et donnera mes ordres pour les soupers et diners ordinaires. S’il etoit malade le 1er garçon du château après lui le remplaceroit et de suite les autres. Ce sera lui qui délivrera les billets au M[archan]d de Vin dont il rendra compte à Thierry. Si quelqu’un avoit une dépense extraordinaire a faire il s’adressera a Thierry pour y estre autorisé. Burey restera chargé comme par le passé de tout ce qui regarde les ouvriers et le nettoyage. Il gardera aussi la clef de la cave ou sont les vins de liqueur et mon vin d’ordinaire dont il rendra compte à Thierry. »
- Un commentaire autographe signé de Charles Nodier à propos de la valeur exceptionnelle de l’exemplaire. 1 p. in-16 à l’encre rouge.
« Maximes de Télémaque. Il est bien douteux qu’il existe d’un livre aussi rare que celui-ci un autre exemplaire broché ; mais ce qui en augmente surtout la valeur, c’est la note autographe de Mr de St. Mégrin dont l’écriture authentiquée par une personne de sa famille ne laisse aucun doute sur la réalité de la singulière anecdote qu’elle renferme. Les mots : “aujourd’hui régnant”, qui ont été soigneusement effacés par le second propriétaire au temps de la révolution, marquent d’ailleurs que cette anecdote est antérieure à cette époque, et qu’elle a été conservée par une espèce d’instinct prophétique. On voit par l’exemplaire de M. de Pixérecour qu’elle a été vaguement connue de Lottin, mais il y manquait précisément la désignation de la page et de l’article, et c’est ce qui en fait une des particularités les plus remarquables de l’histoire contemporaine. Ch. Nodier».
- 3 portraits gravés de Louis XVI. Louis Seize par Le Mire d’après J. Ph. Duplessis, suivi de Louis Auguste Dauphin de France, gravé vers 1770, à l’époque de son mariage (le 16 mai), placé en frontispice, et in-fine, Louis XVI lithographié par Roger d’après J. Croizier d’après Boze.
- Le Testament de Louis XVI. Très rare impression sur deux colonnes, une page sur Chine, réalisée en 1823 par Jules Didot aîné, avec ses caractères « microscopiques ».
« C’est à l’âge de soixante ans, rapporte Alkan, lorsque ordinairement les graveurs ne s’occupent plus que de gros caractères, ou ne peuvent plus rien faire pour l’art, que M. Vibert termina sa carrière typographique en entreprenant, pour M. Jules Didot, la gravure d’un très-petit caractère, véritable chef-d’œuvre : le fils de Pierre Didot l’aîné imprima avec ce trois et demi le Testament de Louis XVI. Ces mêmes types furent encore employés à l’impression de toute la Charte constitutionnelle Belge. Ce caractère microscopique que l’on peut aussi appeler ophtalmique, à cause de son extrême petitesse qui fatigue l’œil, est d’une régularité admirable. » (Alkan l’aîné, « Nécrologie : Vibert (Jean) », Feuilleton du Journal de la librairie, 13 janvier 1844, p. 7-8).
Historique de l’exemplaire. Charles Nodier, dans ses Mélanges, évoque un précédent possesseur : « La personne qui m’a précédé dans la possession de ce livre est parvenue à s’assurer que le témoin auriculaire dont il est question dans la note, est M. de Saint-Mégrin […] » ; l’exemplaire était en condition modeste, « dans toutes ses marges ». Nodier précise qu’il y avait un frontispice, ainsi que la note autographe de Saint-Mégrin. Conscient de la rareté de l’exemplaire, il a vraisemblablement fait réaliser le précieux étui en forme de livre, en violet sombre, la teinte du deuil, aux armes de Louis XVI, en y insérant sa note autographe à l’encre rouge.
Vendu aux enchères en 1830, relié en demi-maroquin rouge, il devient ensuite la possession du grand bibliophile Nicolas Yemeniz, qui l’a vraisemblablement fait magnifiquement relier en plein maroquin rouge, en l’enrichissant des 2 portraits, de la note autographe de Louis XVI et du Testament de Louis XVI, tout en rognant inévitablement ses marges.
Provenance : Charles Nodier, vente janvier1830, n° 120 du catalogue ; ancienne collection Yemeniz, avec son ex-libris, vente mai 1867, n° 559, vendu pour la forte somme de 320 fr. or.
Peignot, Répertoire de bibliographies spéciales, curieuses et instructives, 82 ; Brunet, II, 1218-1219 ; Quérard, La France littéraire, V, 367 ; Paul Dupont cite l’édition dans son « Tableau chronologique des principaux faits qui se rattachent à l’histoire de l’imprimerie depuis son origine jusqu’à nos jours ». (Chronologie de l’histoire de l’imprimerie, 1853). Pour les armes de Louis XVI, O.H.R., très légère variante du fer n° 7 de la pl. 2496.
Quelques minimes frottements à la reliure du livre dus à l’étui, quelques très légères traces d’usure à l’étui, tirette renouvelée.
Exemplaire exceptionnel.
30 000 €