Louis Pasteur (1822-1895). [Adresse au Conseil académique du Nord comme premier Doyen de la nouvelle Faculté des Sciences de Lille, au sujet de la réforme de l’enseignement secondaire]. Brouillon autographe, Lille [entre 1855 et 1857] ; 7 pp. ½ in-8°, sur papier à en-tête « Instruction publique. Académie de Douai. Faculté des Sciences de Lille ».
Adresse à notre connaissance inédite, très critique quant à la « bifurcation », réforme de l’enseignement secondaire imposée par le ministère Fortoul dès 1852 pour assurer une place nouvelle aux sciences dans les lycées tout en rénovant les méthodes pédagogiques. Texte d’une saisissante actualité dans lequel Pasteur fustige le manque de considération pour l’élève, la spécialisation précoce, la formation des enseignants, la durée de leurs études, leur polyvalence exigée et leur baisse de rémunération, la médiocrité du recrutement professoral, etc. En 1854, le savant avait été nommé professeur de chimie et doyen de la nouvelle Faculté des Sciences de l’université de Lille, où il commença ses études sur la fermentation. C’est lors du discours prononcé à Douai le 7 décembre 1854 à l’occasion de l’installation solennelle de la faculté des lettres de Douai et de la faculté des sciences de Lille, qu’il prononça sa remarque souvent citée : « dans les champs de l’observation, le hasard ne favorise que les esprits préparés », dont notre texte est le prolongement : « autant vaut le maitre autant vaut la méthode quelle qu’elle soit d’ailleurs […] je crois que les véritables réformes à faire doivent aujourd’hui s’appliquer au personnel enseignant ».
Le savant, jugeant uniquement d’après sa propre expérience, présente plusieurs observations concernant ce nouveau plan d’études. En premier lieu, il fustige le manque de considération pour l’élève et sa spécialisation précoce : « au milieu d’un siècle que les découvertes scientifiques ont transformé et marqueront d’un signe ineffaçable dans la suite des âges, j’ai peine à croire dis-je que les législateurs du nouveau plan d’études, sous l’inspiration d’un grand politique, n’aient eu en vue que la science plus ou moins avancée de l’élève qui quitte les bancs du collège et sa force relative dans un examen. Ils songeaient sans doute plus à l’homme qu’à l’enfant, à la société qu’au collège, au siècle et à ses tendances qu’à l’examen. Ce sont bien là les grands résultats d’un plan d’études. Mais ceux-là, qui oserait les juger d’après une épreuve qui voit encore sur les bancs du collège la génération que le hasard a pris comme sujet de l’expérience. »
Puis il fustige la formation des enseignants, il craint qu’on ne se soucie davantage de « la méthode et pas assez de l’homme qui l’applique » rappelant au passage « l’excellence des résultats obtenus partout où le professant était savant et habile […] autant vaut le maitre autant vaut la méthode quelle qu’elle soit d’ailleurs ». Il insiste bien sur le fait « qu’il serait téméraire de juger l’influence du plan d’études actuel par son côté politique et social » et met l’accent sur l’indispensable excellence du personnel enseignant afin de valoriser ce nouveau système d’enseignement. Or, il déplore « que la valeur du personnel enseignant a faibli beaucoup depuis l’application du plan d’études » et en donne les causes :
l’appauvrissement du nombre de « professeurs distingués » dû à la création des académies départementales et de beaucoup de facultés nouvelles, l’instauration d’un stage de deux ans préalable aux épreuves de l’agrégation et le recrutement de professeurs de sciences inexpérimentés dû à l’augmentation du recrutement. « Toutes ces causes, et j’en laisse de côté un certain nombre, ont fait en même temps sortir des lycées et des collèges les meilleurs maitres, et peuplé les établissements de professeurs de beaucoup au-dessous de leur tâche, non par le zèle, sans doute, mais par la science et l’expérience du professorat. »
Il note les fortes exigences accompagnées de baisses de salaires malgré la hausse du cout de la vie et l’attractivité du monde industriel ! Alors que l’on exigeait des professeurs, pour ces études toutes nouvelles, la polyvalence pédagogique « pour les besoins du service et les résultats des réformes […] et que la plupart des traitements des maitres étaient diminués bien que le renchérissement gagnât toutes choses et que l’industrie fût là pour séduire les nouvelles recrues. »
Il fustige enfin la rigidité des programmes et insiste à nouveau sur la spécialisation précoce des enseignants : « Mais à quoi sert l’indication des sujets sans la connaissance approfondie de la science dont ils traitent. Comment choisir quand on n’a pas le goût formé.
Qui ne sait que les résumés [savants biffé] que les programmes nouveaux supposent veulent des maîtres plus habiles que l’exposition complète et nécessaire des faits et des théories. De là ces programmes arrêtés imposés, jusques dans les plus minimes détails. »
En conclusion, il croit que les véritables réformes à faire doivent aujourd’hui s’appliquer au recrutement du personnel enseignant, notamment concernant l’École normale supérieure, « c’est elle qui réclame de plus en plus de soins urgents. C’est là qu’est la maladie ».
La « bifurcation » fut un échec, dû en parti aux inconvénients que Pasteur fustige. Elle fut supprimée en 1864 par Victor Duruy. Voir à ce sujet N. Hulin. A propos de l’enseignement scientifique : une réforme de l’enseignement secondaire sous le Second Empire : la « bifurcation » (1852-1864). In : Revue d’histoire des sciences, tome 35, n°3, 1982. pp. 217-245.
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