Verlaine, dans la misère, désespéré, chante l’amour de Dieu et des hommes.

 

Exemplaire d’épreuves du recueil Amour avec envoi de l’auteur, sorte de testament poétique d’un Verlaine misérable et désespéré, avec son appel à l’aide autographe adressé à son éditeur Léon Vanier et l’avance mesquine que ce dernier lui consentit.

 

Verlaine. Amour. Exemplaire d'épreuve. Envoi et corrections.

 

Paul Verlaine. Amour. Paris, Léon Vanier, 1888. In-12 de 174 pp., broché, couverture découpée et contrecollée sur papier peigné, sous chemise et étui demi-maroquin bleu nuit.

Exemplaire d’épreuves, 13 février 1888 pour le texte et 20 février 1888 pour le titre, comme l’attestent les cachets bleus de l’imprimeur E. Capiomont en tête de chaque cahier.

Verlaine. Amour. Exemplaire d'épreuves annoté par Vanier.

Avec Sagesse (1881) et Bonheur (1891), Amour forme un triptyque voué à l’amour divin. Composé en 1887-1888, l’ouvrage fut publié en mars 1888. Comme pour Jadis et Naguère, Verlaine complète les pièces anciennes par des poèmes plus récents. En 1887, il reprend Pensées, compose Délicatesse, Angélus de midi et complète le cycle Lucien Létinois en 1885, pour les pièces V, XI (« La Belle au bois dormait… ») et XXIII, et durant l’hiver 1887-1888 lors de son séjour à Broussais pour les pièces XVI, XIX, XX, XXI, XXIV et XXV.

A sa parution, Théodore de Banville le célébra : « Vous avez fait un prodige… vous avez grandi sans cesse. » En 1887, Verlaine, dans le dénuement le plus absolu, va d’hôpital en asile. Il dédie son recueil Amour à son fils unique Georges, âgé de seize ans, dont il vit séparé depuis qu’il avait deux ans. Le dernier poème du recueil « A Georges Verlaine », composé en mai, lui est adressé, véitable testament poétique, Verlaine ayant envisagé le suicide en avril : « Te reverrai-je ? Et quel ? Mais quoi ! moi mort ou non, / Voici mon testament : / Crains Dieu, ne hais personne, et porte bien ton nom / Qui fut porté dûment. »

Recueil des plus émouvants, même si les poèmes ne sont plus de la veine des Fêtes galantes ou des poèmes saturniens.         

Envoi signé de l’auteur : « à M. Pierre Dauze très sympathiquement P. Verlaine ».

Verlaine. Amour. Envoi de l'auteur et annotations de Vanier.

Fondateur de la revue Biblio-Iconographique, proche d’Anatole France, Paul-Louis Dreyfus-Bing dit Pierre Dauze (1852-1913) proposa à Verlaine d’écrire 24 sonnets sur des sujets bibliophiliques qui seraient publiés dans sa revue puis réunis en un recueil. Emporté par la maladie, Verlaine ne put fournir que 13 sonnets qui furent réunis sous le titre Biblio-Sonnets et publiés en 1913 avec une préface posthume de Pierre Dauze.  

Exemplaire annoté, corrigé et signé par l’éditeur Léon Vanier : « curiosité littéraire » et « exemplaires d’épreuves différent du tirage » sur la couverture ; « A mon fils Georges Verlaine » au faux-titre ; « Exemplaire d’épreuve différent du tirage ordinaire. Vanier » au verso du faux-titre ; « 25 tirages à part » p. 1 ; « 27 décembre 1887 » et double correction p. 92 [A Charles Morice]. « Pièce non insérée dans le vol amour, remplacée par Paysages » p. 109 [pour le poème Ecrit en 1888, qui sera finalement inséré dans le recueil Bonheur en 1891, pièce X, sans titre]. Corrections  pp. 17, 20, 46, 91.

Verlaine. Amour. Exemplaire d'épreuves.

Léon Vanier (1844-1896), éditeur et libraire français, fut célèbre pour avoir été l’éditeur de Paul Verlaine depuis Jadis et Naguère en 1885. On lui reprochera d’avoir souvent rectifié, comme dans notre exemplaire, la ponctuation du poète, si souple et si originale. D’ailleurs, Verlaine ne l’épargnera pas en 1891 dans sa « Dédicace manuscrite à Vanier pour la réédition de la “Bonne Chanson” » : « Vanier n’est qu’un imbécile / Qui ne m’aura pas compris / Mais de lui, tâche facile / Et terrible, je souris. » (Œuvres poétiques complètes, Pléiade, Poèmes divers, p. 983).

 

Exemplaire unique. Enrichi d’une carte lettre autographe signée et d’un reçu signé.

Paul Verlaine. Carte lettre (Entier Postal) autographe signée « P.V. » à son éditeur Léon Vanier [probablement rue Moreau, à Paris,  début 1887]. 2 pages in-16 (14,1 x 9 cm), recto mauve, verso ivoire. Adresse « Léon Vanier / Editeur Libraire / 19 quai St Michel / E.V. »

Très émouvante carte au désespoir poignant.

Verlaine. Carte auographe signée adressée à Léon Vanier.

Le poète  est dans la misère. Il détaille ses dettes et, proche du désespoir, supplie son éditeur de lui envoyer rapidement 25 frs, somme dérisoire « pour vivoter » en attendant son entrée à l’hospice, qu’il espère prochaine. Il évoque au passage l’achèvement des recueils Amour et Parallèlement.

« […]  j’ai, vous le comprendrez, des petites dettes dans mon quartier : blanchissage, raccommodage et teinturerie, sans compter la nourriture depuis qqes jours, tous infimes détails mais qui représentent environ 25 francs. Faute d’avoir pu payer ces sommes dérisoires et n’étant pas un homme à pouf [c.a.d. à dettes] – même provisoire, ni à plongeon, [c.a.d à faire faillite] je n’ai pu entrer à l’hospice. D’ailleurs mon principal protecteur M le dr. J[ullien] est malade et ne peut s’occuper de ça autrement que par écrit, ce qui est long. [Le docteur Louis Jullien (1850-1913), chef de service de l’Hôpital Saint-Lazare (l’hôpital des vénériens de l’époque), médecin et ami du poète qui lui a dédicacé le poème Ballade en rêve du recueil Amour]. Donc chambre à payer, ci 30 fs. 30 et 25 = 55. Resteraient à mon  » actif  » 25 fr. je crois. 30 + 25 + 25 = 80. C’est 80 francs, échus du 1er mars qui me sont nécessaires, les derniers 25 surtout pour vivoter jusqu’à rentrée dans hospice, si rentrée possible. Quant à Amour (question à part des 80 frs ci-dessus) je n’ai pas le manuscrit de l’épilogue. Du moins il n’était pas dans le paquet apporté par votre commis. Dès que j’aurai recouvré ce commencement, je finirai et vous donnerai. Soyez donc assez bon pour m’envoyer ces 80 frs tout de suite. Même adresse. A vous cordialement. P. V. [Verlaine écrit en marge :] Envoyez par mandat. – il y a peut être une erreur de 5 fr. dans ce compte. Enfin au plus vite n’est-ce pas ! [Il poursuit au dos, en haut :] […] Mais ces manuscrits ? [Il précise, à l’envers de l’adresse :] D’ailleurs je vais tâcher de faire de l’argent plus tard.

Verlaine. Carte autographe signée adressée à Léon Vanier.

Quant à Amour c’est fait sauf l’épilogue. Parallèlement aussi. [Enfin, le poète note sur le côté gauche :] Je réfléchis qu’une carte postale est susceptible d’être lue par le facteur ou un commis et je mets cette carte-ci sous enveloppe. Encore 2 sous dépensés pour Guillaume Ier ! »

Paul Verlaine avait été soigné depuis novembre à l’hôpital Broussais par le docteur Nélaton pour une ankylose complète du genou gauche et des ulcères non renfermés attribués à une ancienne syphilis. Il logeait alors rue Moreau, où il prenait ses repas au n° 8, chez la « mère Allermoz ». Il rentrera, non à l’hospice comme il l’espérait, mais à l’hôpital Cochin le 19 avril, salle Boyer, lit 13, « dans le dénuement le plus absolu », envisageant le suicide.

Verlaine ne retrouvera pas son Epilogue. « Au fond, je ne suis pas fâché d’avoir perdu mon Epilogue, écrit-il. Il y aurait eu là, c’est vrai, des vers “épatants” ; mais ce n’est pas d’ “épater” qu’il s’agit dans Pensées du soir, qui résume l’ “orgueil humain” et l’humilité chrétienne et surtout la douce impression des derniers vers de Lucien Létinois ; le volume est mieux. » Amour et Parallèlement seront publiés par Léon Vanier respectivement en mars 1888, et en juin 1889.

Fine bande de papier japon transparent en-tête du recto. Excellent état.

Léon Vanier ne lui enverra, sur les 80 francs quémandés, que 25 frs,  « pour vivoter », comme avait dit le poète ! 20 francs le 20 janvier et 5 francs le 17 février, comme en témoigne le document suivant :

Reçu signé « P. Verlaine », Paris, le 20 janvier 1887. 6 lignes autographes de Léon Vanier. Billet à en-tête imprimé de la librairie Léon Vanier, 19, Quai Saint-Michel à Paris. 1 page (10,6 x 13,1 cm), encadrement noir. Trous d’épingles et bande rousse marginale.

L’éditeur a rempli de sa main : « Reçu de Monsieur Vanier éditeur la somme de vingt francs à valoir sur les cinquante francs du 18 janvier dernier. Remis le 20 janvier 87 ». Puis, d’une encre plus épaisse : « cinq francs remis à Verlaine le 17 février 87 à valoir ».

Verlaine. Reçu signé d'une avance consentie par Vanier.

Exceptionnel ensemble, saisissant contraste entre le profond désespoir du poète et son chant d’amour de Dieu et des hommes, dédicacé à son fils aimé, véritable chant du cygne.              

                      9 500 €