Courbet trouve l’inspiration lors d’une soirée chez son ami Etienne Carjat

Courbet par Carjat

 

Gustave Courbet (1819-1877), peintre. Lettre autographe signée « Gustave Courbet », [Paris], 32 rue Haute-Feuille, 26 juillet 1869, à « mon cher Carjat » [Etienne Carjat (1828-1906), célèbre photographe, journaliste, caricaturiste et poète]. 2 pages in-8°. Avec adresse autographe au verso « Monsieur / Etienne Carjat / Photographe / 10 rue Notre dame de Lorette / Paris », timbre et oblitération. Au-dessous de l’adresse, une autre main a écrit : « Agostina / 16 R Duperré ». 

Splendide lettre inédite dans laquelle l’artiste tombe sous le charme d’une belle italienne inconnue et, inspiré et enthousiaste, évoque son processus créatif. Bel exemple de période d’excitation psychomotrice caractéristique d’un Courbet maniaco-dépressif (voir l’art. d’A. Portier, « Clinique des variations de l’humeur chez Gustave courbet à la lecture de sa correspondance » dans Y. Sarfati, T. Schlesser et B. Tillier, La correspondance de Courbet – 20 ans après, Les Presses du réel, 2018, pp 249-264).

Lors d’une soirée chez son ami, il tomba subitement en extase devant une italienne qui se tenait discrètement dans l’embrasure d’une fenêtre. Ses yeux agirent « comme deux tubes de pompe foulante et aspirante ; je m’inondais ainsi à plaisir en puisant au réservoir d’une dame Italienne […]  Une fois le cœur bien bondé, je sortis de chez toi comme un homme ivre, les voitures m’étaient indifférentes, le trottoir m’était léger, il me paraissait trop court, je faisais de la peinture. »

Courbet à Carjat. Lettre inédite.

Enthousiaste face à cette inconnue, il souhaite la peindre et « Pour en venir a mon but, si tu pouvais l’enlever pour quelques jours aux flaneurs, et aux parasites, je crois que je ferais une belle peinture avec cette personne, ce serait autant de pris sur ce temps ennemis. » Il lui propose de venir avec elle déjeuner le lendemain.

Gros-Kost, dans ses Souvenirs intimes sur Courbet, note que sa « tête […] était comme un lieu privilégié où les lignes et les nuances s’emmagasinaient pour ressortir en compositions resplendissantes, lorsqu’il les évoquait ».

Voici la réponse que lui écrivit Carjat (Papiers de Courbet, BNF Estampes et photographie, P 127878). :

« Mon vieux Gustave,

La petite italienne en question s’appelle Melle Agostina ou si tu aimes mieux en français Augustine. Elle est la maîtresse d’un mien ami le jeune Édouard Dantan, le fils du sculpteur, ce qui fait que je ne puis directement me mêler de cette affaire.

Cependant comme la jolie fille pose chez tous les peintres ayant les moyens de lui payer généreusement ses séances, écris-lui sans façon, de ma part, si tu veux, car je crois que la signora me compte au nombre de ses amis, et traite avec elle cette petite affaire d’atelier.

Si tu veux mieux, prie la de se trouver chez Dinochau, vendredi matin à 11 h sous le prétexte de lui éviter une course – Elle demeure 16 rue Duperré – et si mon faible galoubet peut t’être de quelque utilité pour la décider à poser d’une façon moins officielle, je jouerai mon petit air tout comme un autre, tu n’en doutes pas.

Sur ce, écris à la diva, et à vendredi, à moins de contre-ordre de ta part. (…) »

Manque à la Correspondance de Courbet, Flammarion, 1996, ainsi qu’à P. Ten-Doesschate Chu, Courbet, épistolier – 24 lettres inédites, Dijon, Les Presses du réel, 2017 et à Courbet en privé, Correspondance de Gustave Courbet dans l’Institut Gustave Courbet, ed. du Sekoya, 2019.

Quelques déchirures et petit manque dus au décachetage, sans atteinte au texte, petits trous à une pliure avec atteinte à une seule lettre.

La belle inconnue est Agostina Segatori (Ancône, 1841-Paris, 1910), modèle italien qui posa pour son amant Edouard Dantan, Jean-Léon Gérôme, Jean-Baptiste Corot, Édouard Manet et Vincent Van Gogh dont elle fut la maitresse. En outre, elle tiendra le café Au Tambourin, fréquenté par les peintres, les écrivains et les critiques d’art et dans lequel elle exposera les œuvres de ses amis, dont Van Gogh.

Agostina Segatori par Corot
Jean-Baptiste COROT
Portrait d’Agostina Segatori (1866)
New York, collection particulière.

Courbet peignit-il le portrait d’Agostina ? L’aurait-il représentée en « Rêverie tzigane » peint en 1869 ? Le côté bohémien, sensuel et farouche n’annoncerait-il pas la passion du modèle pour le tambourin, nom de son futur café, instrument de prédilection des belles tziganes, telle Carmen ?

Courbet Rêverie tzigane

L’œuvre, n° 663 de la monographie de Courbet par R. Fernier, est conservée au Musée National d’Art Occidental à Tokyo.

Etienne Carjat était très lié avec le peintre dont il fit de nombreux portraits photographiques, une dizaine de 1862 à 1870. Courbet lui écrivait de Saintes, en 1863 : « Mon cher Carjat, je t’aime comme tu sais, tu es mon confident d’amour, tu es mon photographe, tu es mon biographe, tu es mon ami. » (Courbet selon les caricatures et les images, Paris, Rosenberg, 1920, p. 50) ; le photographe lui rendra hommage : « L’art pour lui, c’est la vérité / Se dressant du puits toute nue, / La naïve sincérité / Que les maîtres seuls ont connue » (Paris illustré, 1870). 

Courbet par Carjat

Avec une rare photographie originale de Courbet prise par Carjat à l’époque de la lettre, sur papier albuminé, au format carte de visite (9,1 x 5,3 cm), contrecollée sur un carton, annotée en-tête « Courbet » à l’encre, et au verso, manuscrit : « Courbet Gustave. De 48 à 50 ans. Grand, gros, vouté. Marchant difficilement à cause de douleurs dans le dos. Cheveux longs grisonnants, air d’un paysan goguenard, assez mal vêtu. »

Traces de colle altérant quelque peu le texte.

Exceptionnelle lettre inédite avec un tirage photographique peu courant.

 

Courbet à E. Carjat

12 000 €