Louis Pergaud (1882-1915), écrivain. Lettre autographe signée « Louis Pergaud », [Verdun], mercredi 3 mars 1915, à son « Bien cher maitre et ami » Lucien Descaves. 4 pages bi-feuillet in-12. Avec enveloppe autographe portant l’adresse « Monsieur Lucien Descaves / 46 Rue de la Santé / Paris » et dans le coin gauche, également autographe, « Envoi de / Louis Pergaud / adjudant 1er Baton / du 166e d’Infe Verdun ». Avec cachet bleu du service postal du 166e Régiment d’Infanterie.
Longue et émouvante lettre du front, inédite, écrite quelques semaines avant sa mort (dans la nuit du 7 au 8 avril) à Lucien Descaves (1861-1949), écrivain, membre fondateur et influent de l’Académie Goncourt qui couronna le premier ouvrage de Pergaud, De Goupil à Margot. Il fut le dédicataire de La Revanche du Corbeau. Les deux écrivains furent très liés.
Louis Pergaud évoque les conditions de vie difficile des poilus, sa santé parfois défaillante, mais surtout sa volonté de victoire, son bon moral malgré une certaine lassitude, et sa vie dans les tranchées, ponctuée de soirées entre amis. Moins antimilitariste qu’il ne l’était au début de la guerre, il est cependant toujours aussi anticlérical, comparant « ces cochons de Boches » à des morpions du pape !
« L’existence d’adjudant de bataillon offre moins de couleur et de pittoresque que la vie de tranchées, mais elle a ses avantages surtout quand on se sent vaguement fourbu par 5 mois de barbottage dans la vase et dans la … flotte comme disent les poilus. »
Il a redouté être atteint de la fièvre typhoïde : « je toussais, je transpirais la nuit, j’avais des maux de tête, de la courbature, de la diarrhée, de la fièvre : 38°2 ». Ce n’était qu’une vieille bile et de la vieille fatigue ; une bonne purge l’a remis sur pied « et me revoici avec le teint fleuri, un appétit de chien de chasse, buvant sec et pissant clair. »
Depuis 4 ou 5 jours, il se refait vite, présageant une prochaine offensive : « j’aurai peut être sous peu besoin de toutes mes forces, avec le printemps et les beaux jours il va bien falloir déblayer le pays et ces cochons de Boches se cramponnent à tous les points importants comme des insectes que je ne désignerai pas plus clairement à des testicules papaux. » Le moral des troupes est excellent et il évoque le coup d’éclat du sergent-major Clairon de la 11ème compagnie qui, accompagné de 3 volontaires, s’est emparé sans subir de pertes d’un fanion que les Allemands avaient placé en guise de défi derrière la barricade de Marchéville : « Nous avons eu aux alentours une petite action dont les journaux ont longuement parlé et ça a donné confiance à tous sauf aux boches naturellement qui ont dû trouver la plaisanterie saumâtre.
Jamais je n’entendis musique plus enragée : le terrain arrosé par nos obus disparaissait dans la fumée et c’était, je vous jure, bougrement impressionnant. » Il attend « sans hâte ni fièvre » sa nomination au grade de sous-lieutenant. [Il sera promu le lendemain]. Sa vie dans les tranchées n’est cependant pas à plaindre ; « mes voisins les officiers d’artillerie me considèrent comme un ami et je passe en leur compagnie à leur table qui est bonne, des heures agréables. L’infanterie est plus réservée, sauf les grands chefs dont le colonel [Charles Desthieux de Fournoux] qui me témoigne d’active manière sa sympathie.
Bien que le pays ait rudement souffert on arrive très facilement à se ravitailler en tout et l’ordinaire se relève souvent de quelque vieille bouteille « de ce vin dont la France s’honore« comme dirait Verlaine. » Il éprouve cependant de la lassitude quant « à la continence à laquelle nous condamne la morale sévère de notre gouverneur » [Henri Coutanceau (1855-1942), général de division. Il avait fait inscrire sur la porte d’entrée du fort de Verdun : « S’ensevelir sous les ruines du fort, plutôt que de se rendre ». Le « pudibondieux », comme le qualifie Pergaud, était surnommé « Le boulon »]. L’écrivain évoque enfin Colette journaliste : « Vous ai-je conté la bonne histoire qui est arrivée à Colette venue à V[erdun] voir son mari ? Si non je vous la dirai dans q[uel]q[ue] prochaine lettre. » Elle était allée voir son mari Henri de Jouvenel à Verdun, et poussé la curiosité un peu plus loin en Argonne. Ramenée « manu militari », elle rédigea des reportages de guerre pour « Le Matin ». Ils seront édités dans « Les Heures longues 1914-1917 ».
La réponse de Lucien Descaves, datée du 10 mars, est publiée dans Les Tranchées de Louis Pergaud, p. 307.
Manque à la Correspondance, dans Œuvres complètes de Louis Pergaud, Mercure de France, 1955 ; ainsi qu’à Bernard Piccoli, Les Tranchées de Louis Pergaud, Bar-le-Duc, Connaissance de la Meuse, 14/18 Meuse, 2006.
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